L’INFORMATION MEDICALE
Journée des Centres de Lutte contre le Cancer,
Intervention Philippe CHOULET
La loi Kouchner était porteuse d’un changement symbolique : le respect de l’information et de la volonté, non plus comme une simple obligation du professionnel de santé, mais comme un droit fondamental du patient ( art. L.1111-1° & suiv. du CSP ).
L’information médicale atteint le plus haut degré de normativité : article 35 du Code de déontologie médicale ; jurisprudence « obligation accessoire d’information » ; assise légale art. L.1111-1 à L.1111-9 du CSP ; Cass. 1ère civ. 9 octobre 2011 : valeur constitutionnelle attachée aux principes de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine » ; normes supra nationales : arrêt du 2 Juin 2009 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme : le droit du patient à l’information est protégé sur le fondement de l’article 8 de la convention ( CEDH, 2 juin 2009, JCP, G, 2009, I, 308, B. Sargos ) ; convention d’OVIEDO du 4 Avril 1999 sur les droits de l’homme et la biomédecine ratifiée par la France le 13 Décembre 2011 et entrée en vigueur le 1er Avril 2012.
I – EXTENSION CONSTANTE DEPUIS LA LOI DU 4 MARS 2002 DE L’ETENDUE DE L’INFORMATION MEDICALE
1 - Quant aux personnes
1.1 – Les débiteurs de l’information ne sont pas seulement les médecins
- Article L.1111-2 alinéa 2° « Tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables ».
- L’obligation pèse également sur les établissements de santé : engage sa responsabilité la Clinique qui n’attire pas l’attention d’une patiente sur l’absence de qualification du médecin généraliste ayant réalisé sans succès une opération de chirurgie esthétique. ( Cass. 1ère civ. 11 juin 2009, D., 2010, 363, notes G. Mémeteau ).
- L’obligation d’information pèse sur le fabriquant de produits de santé à l’égard des professionnels de santé ainsi qu’à l’égard des usagers.
1.2 – Les créanciers de l’information ne sont pas seulement les malades
- Pour l’usager, l’information doit porter sur les différentes phases de l’acte médical : état de santé du patient, nature et utilité de l’acte projeté, urgence éventuelle, coût de l’acte médical et, bien sûr, les risques.
- Droit d’accès direct aux informations médicales pour les usagers, les ayants-droit du défunt ( art. L.1111-7 al. 6°), aux documents « formalisés » et aux notes personnelles du médecin ( décret du 7 Mai 2012, réforme du Code de déontologie médicale – art. L.1111-7 du CSP ).
- Information de la personne de confiance et renforcement de la prise en compte de la volonté et de la protection des incapables à la décision médicale et autonomie de décision du mineur ( pré-majorité médicale ).
- Information des parents d’un enfant atteint d’un handicap congénital : cass. civ. 8 juillet 2008 : la cour écarte l’application de la loi du 4 mars 2002 pour le « dommage survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, indépendamment de la date d’introduction de la demande en justice. » et Cons. Const. 11 juin 2010, QPC, D. 2010, p.
1980.
2 – Quant aux risques
§ Des risques « graves et fréquents » aux « risques exceptionnels » : en dépit de la rédaction « ambigüe » de l’article L.1111-2, la jurisprudence réaffirme la jurisprudence antérieure à la loi quant à l’information sur les risques exceptionnels ( CE, 19 mai 2004 ; CE, 30 novembre 2011 ; CE, 11 juillet 2011 ) normalement
prévisibles.
§ Des risques « exceptionnels » aux risques « connus » : il ne s’agit pas de savoir si le médecin connaissait le risque grave des soins mais si ces risques étaient recensés par la science médicale. Cela signifie que le médecin est également obligé de s’informer pour informer à son tour correctement son patient : ex. risque de thrombophlébite du sinus caverneux, pourtant sujet à débat dans le corps médical ; ex. : ototoxicité
médicamenteuse ; ( cass. 1ère civ. 6 février 2013 : « une information générale sur les risques liés à un acte de chirurgie réparatrice ne suffit pas à décharger le médecin de son obligation d’information : le chirurgien a failli à son obligation d’expliquer les risques précis de l’abdominoplastie notamment par la remise d’une notice exhaustive – risques connus ).
§ Des risques « connus » aux « infections nosocomiales » ( cass. 1ère civ. 8 avril 2010, RDC 2010, obs. G. Viney ). Infections nosocomiales scientifiquement connues.
§ Des informations antérieures à l’acte médical à l’extension de l’information postérieure à l’acte médical. L’article L.1111-2 alinéa 1° exige d’informer le patient des risques nouveaux identifiés postérieurement à l’exécution des investigations et, afin de faciliter la demande d’indemnisation des victimes, l’article L.1142-4 du CSP : obligations particulières d’information en cas d’accident médical ( risque de développement : affaire du sang contaminé ou du Distilbène ), ex : les risques en radiothérapie.
Au final : les modes de preuve.
Cass. 1ère civ, 12 juin 2012 : « la preuve par le médecin du respect de ses obligations d’information peut être rapportée par tous moyens, y compris par des témoignages, des indices et des présomptions dès lors que ceux-ci sont jugés suffisants : la patiente avait déjà subi une intervention d’arthrodèse par le même chirurgien cinq ans avant avec un résultat favorable. Depuis, elle avait été suivie par ce médecin et, lorsque les douleurs lombaires sont réapparues, elle l’a revu à plusieurs reprises avant l’indication chirurgicale. Chaque consultation a été suivie d’une lettre adressée à son médecin traitant et l’intervention n’a été programmée qu’après une nouvelle consultation. »
Cependant, l’obligation d’information permet de compenser l’absence de faute technique prouvée : la faute d’humanisme intervient alors comme un substitut à la faute technique défaillante.
Si le défaut d’information est une faute présumée, cette présomption est cependant simple puisque le médecin peut la renverser mais la jurisprudence ne lui est pas favorable : ni les affirmations orales émanant du médecin ( cass. 1ère civ. 14 octobre 2010, n° 09-70221 ), ni le délai écoulé entre deux consultations ( cass. 1ère civ. 28 octobre 2010, n° 09-13990 ) ne suffit à apporter une telle preuve et l’écrit n’est ni suffisant ni nécessaire ( Cour d’Appel, Toulouse, 25 octobre 2010, D. 2011, 292, notes F. Vialla ).
En revanche, la dernière jurisprudence a tendance à prendre en considération les « hésitations » ou « l’anxiété des patients » comme un élément de preuve de l’information donnée par l’acteur de santé.
II – LES INCERTITUDES DE LA SANCTION DU DEFAUT D’INFORMATION
1 – La responsabilité pour faute : nécessité de prouver le lien de causalité entre le défaut d’information et son dommage
1.1 - Incertitudes causales et perte de chances
- Le principe de l’application de la théorie de la perte de chances est constant en jurisprudence depuis 1997 pour la Cour de cassation et depuis 2000 pour le Conseil d’Etat, en présence d’un défaut d’information.
- Complément d’indemnisation par l’ONIAM dans un arrêt du 11 Mars 2010 : la Cour, au double visa des articles L.1142-1 et L.1142-18 du CSP : « Il résulte du rapprochement de ces textes que ne peuvent être exclus du bénéfice de la réparation au titre de la solidarité nationale les préjudices, non indemnisés ayant pour seule origine un accident non fautif. » Cette jurisprudence permet à la victime d’obtenir une réparation intégrale de son préjudice corporel.
- Même mieux informé, le malade aurait accepté l’opération à risques : aucune chance d’éviter le dommage et ici perdu. Indemnisation écartée. ( Cass. 1ère civ. 6 décembre 2007, Juris Data 2007-041797 ; CE, 24 juillet 2009, Juris Data n° 2009-008137 : perte de chance écartée en raison de l’absence d’alternative thérapeutique ).
1.2 – La consécration du dommage moral
Revirement historique du 3 Juin 2010 ( cass. 1ère, 3 juin 2010, JCP, G, 2010-788, notes S. Porchy-Simon : se plaignant d’impuissance sexuelle complète et irréversible, un patient a agi en responsabilité contre l’urologue qui avait pratiqué l’opération, lui reprochant un défaut d’information sur les risques d’impuissance ). L’arrêt de la Cour
d’Appel est cassé au visa des articles 16, 16-3 et 1382 du Code Civil : « Il résulte des deux premiers de ces textes que toute personne a le droit d’être informée préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposées, des risques inhérents à ceux-ci et que son consentement doit être recueilli par le praticien. » La Cour reconnaît que le manquement à l’obligation d’information cause nécessairement un dommage au patient, dommage corporel ou perte de chance de l’éviter, ou simple dommage moral.
Ce préjudice moral pourrait se concevoir en l’absence de dommage corporel. ( Cf. aussi, Cass. 1ère civ. 12 janvier 2012, Lamy Droit de la santé : « Qui admet une présomption irréfragable de préjudice » )
Au final, la Cour a choisi de réparer non pas un préjudice moral d’impréparation du risque réalisé mais l’atteinte à un droit subjectif, le droit du patient d’être informé prenant appui sur le droit au respect de l’intégrité corporelle ( art. 16-3 du code civil ) et le droit au respect de la dignité de la personne ( art. 16 du même code ). ( Cass. 1ère civ. 12 juin 2012 : « le défaut d’information sur la non-conformité d’un traitement au regard de l’indication de l’AMM constitue en soi un préjudice pour le patient », gaz. pal. 19 juillet 2012, p. 11 ).
2 – La responsabilité sans faute ou le recours a des présomptions de causalité, sous certaines conditions
- La responsabilité sans faute en cas de dommage causé par des produits de santé défectueux ( loi de 1978 et art. 1386-4 du code civil ).
- La Cour de cassation n’a pas hésité à présumer le lien causal entre le DEF ou DISTHILTIBESTROL et les différents fabricants de cette molécule ( cass. 1ère civ. 24 septembre 2009 : « Les filles du Distilbène victimes de discrimination » , JCP, G, 20-314, notes Radé ).
- Ici, l’information n’est pas envisagée comme fondant la responsabilité mais en tant qu’élément d’appréciation du défaut et la doctrine propose de mettre en avant, aussi, le critère du bilan bénéfices-risques, de sorte que pourrait être défectueux un produit dont les dangers, même signalés, dépasseraient largement l’utilité ou les bénéfices escomptés ( cass. 1ère civ. 5 avril 2005, RTD civ. 2005, p. 607, obs. Jourdain, faisant référence à « la gravité des effets nocifs constatés » ).
* * *
L’information des usagers du système de santé a comme but premier l’expression de leur volonté, la loi du 4 Mars 2002 renforçant le droit au respect de la volonté de la personne capable en instaurant un droit absolu du patient de refuser l’acte médical ( art. L.1111-4 alinéas 2° & 3° du CSP ) : réelle autonomie du patient dans la réalisation des soins.
( Cf. Nouvel article R.4127-35 du CSP : le médecin ne peut plus décider, de son propre
chef, de tenir un malade dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic ).
Philippe CHOULET